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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Aude de Nexon 

"Peintresse"

Lac - Aude de Nexon
Nu - Aude de Nexon

           Aujourd’hui je vous présente l’artiste Aude de Nexon que j’ai eu le plaisir de rencontrer, une première fois, autour d’une boisson chaude au Café de Grancy et, une deuxième fois, à son atelier à Lausanne. Avec un parcours dans l’art commençant dans le milieu cinématographique, elle me confie qu’avec le cadre de la caméra, c’était une évidence pour elle d’en arriver à peindre. Rencontre.

Née à Lille, Aude est issue d’une famille d’artistes dont un père peintre-sculpteur. Ils sont cinq frères et sœurs dont les deux filles de la tribu ont fait l’école d’arts appliqués, poussées par leur père. Les fils ont été élevé dans l’optique de subvenir à leur famille alors que les filles étaient plus libres et liées à leurs arts, ajoute-t-elle. D’ailleurs c’est un élan qui se poursuit avec sa fille de sept ans, Adrienne, qui ne cesse de dessiner et qui a exposé trois de ses dessins durant sa dernière exposition. Un moyen de valoriser son travail comme ses parents l’ont fait avec elle. Son père, continue-t-elle, a fait les Beaux-Arts et a dirigé une section à L’École des Arts Appliqués de Roubaix. Avec cette fonction, il lui a confié la mission du regard artistique, dit-elle. Il a fini par abandonner ses fonctions pour se consacrer pleinement à sa création. Elle ajoute que ses œuvres étaient partout autour d’eux et qu’elle a aimé grandir en leur compagnie. C’était le langage de son père. Avec cela, Aude n’a pas eu le choix que de s’exprimer également au travers de l’art, comme une vocation familiale. Elle suit alors des cours de danse contemporaine mais aussi de théâtre dès l’âge de quatorze ans. C’est là que, pour la première fois, elle s’est sentie « traversée par les émotions », continue-t-elle. Elle « sent la vie » grâce à des médiums et techniques accessibles : son corps et la scène. Elle la sentira aussi en peinture en abordant le rythme dans un espace, dans un silence, tout en proposant son histoire, à l’écart des autres. Aude ne fait que cela depuis toujours. Elle jongle avec le vide, le plein, l’espace, le mouvement, les odeurs ou encore le mélange.

A l’école, elle rêvait et n’écoutait que ce qui lui plaisait. Exprimer ses états d’âme était alors déjà présent : une révélation. Ce qui lui vaut depuis de suivre ses instincts et aller au-delà de la structure pour mieux travailler son élan vital. Elle passait d’ailleurs tout son temps à l’atelier de son père, telle Artemisia Gentileschi, et le regardait faire. Beaucoup de choses ont été absorbées qu’elle a pu ensuite retranscrire dans sa propre création. Elle n’utilise jamais de symétrie mais tout tient dans sa vision, me dit-elle. Elle ajoute que c’est comme le cadrage de l’être au cinéma : une perpétuelle gymnastique. Travailler la perspective vers la démesure, la sensation n’est pas la même. Lorsqu’elle entre dans un espace, elle sait tout de suite si elle s’y sent bien ou mal et respecte ses sensations. Avec l’art, Aude trouve un équilibre certain. Elle ajoute qu’il en va de sa santé mentale car « la vie, c’est trop ».

Avec trente minutes de yoga ou de marche au bord du lac, Aude rêve, voyage et se raconte des histoires afin de s’évader et pouvoir le faire ensuite au moyen de sa peinture. Le besoin de créer est alors rugissant chez elle. L’envie de revenir aux deux dimensions a été comme une évidence pour elle. Les rencontres de sa vie ont eu une influence majeure sur ce qu’elle est devenue. D’ailleurs, Jean Périmony, son professeur de théâtre – chez lequel elle est arrivée directement en deuxième année – l’a acceptée comme elle était alors que Niels Arestrup, plutôt sanguin et animal - qu’elle rencontre lors des jeunes talents de Cannes – est un metteur en scène avec il aura fallu œuvrer pour trouver la juste mesure. Se sentant décalée, inconsciente et naïve, elle souhaitait se détacher de ce milieu. C’est progressivement alors qu’elle sent l’appel de ce médium qui aujourd’hui ne la quitte plus.

En soi, dans sa peinture, Aude s’est rendue compte que lorsqu’elle travaille sur les blessures et les cicatrices, elle travaille sur le vivant, sur l’instant. C’est sa survie. Différente de la production de son père, elle est allée jusqu’à la bousculer et ce dernier lui a même dit qu’elle possédait les armes pour aller plus loin lorsqu’il est venu à son atelier dernièrement. Lors de sa première exposition en mai dernier, à la vue de son père contemplant ses œuvres, elle avait été saisie d’un grand moment d’émotion : toute une vie, me dit-elle. Même si elle pense ne pas être une artiste inscrite dans une démarche de son temps, elle me dit qu’elle est « sans temps », que ce dernier n’existe pas et qu’il faut penser au-delà. Curieuse de son évolution picturale, elle accepte les défauts qu’elle peut laisser sur la toile ; les accidents, dit-elle. Car ceux-ci, défient le rythme des contraintes et lui permet de construire sa toile, de se construire. En état admiratif devant la nature tels que la forêt et le lac, Aude travaille également avec les impressions organiques. Elle ne lâche jamais même lors d’accidents car ce sont comme des empreintes dans sa forêt, ajoute-t-elle. Par exemple, si de l’huile tombe et sèche sur la toile, elle l’accueillera en pensant qu’elle avait sa place là. En cela, elle apprécie ce qu’elle ne peut pas contrôler car chaque toile est unique et relate son univers. Le mouvement et le geste sont deux éléments importants qui définissent la manière dont Aude va aborder la toile. Elle possède un grand intérêt pour les sujets qu’elle élabore et particulièrement le corps, le nu. Elle ajoute en riant qu’elle est toujours à poils et que tout se voit sur son corps qu’elle définit comme transparent tellement il est blanc. Ses titres se regroupent sous des mots tels que « racine », « geste » ou encore « lac » et qui font référence à la « Matière vive » - titre de son œuvre entière. Lorsqu’elle peint, elle se laisse traverser et même transpercer par les émotions qui la guident. Cela l’aide a retrouvé le silence tant recherché et à se concentrer sur sa pratique ; sur son soi.

Chaque création est une mise à nu dotée d’un esprit vagabond. Le mental décroché, elle crée en faisant le vide sans pour autant lâcher ses idées inspiratrices et elle peint, parfois en se mettant en danger, c’est érotique me dit-elle, mais c’est un élan vital. Elle laisse ainsi apparaître sous l’œil du spectateur la finesse et la légèreté de ses sujets qui viennent habiter ses œuvres et prendre possession de celui qui les regarde.

 

Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

Publié le 30 septembre 2022

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