Marie Bagi vous présente,
Espace Artistes Femmes : Rose-Marie Berger ®
est une association et un espace artistique - itinérant et permanent - d’un nouveau genre qui veut mettre à l’honneur les femmes dans le monde de l'art. En raison de notre emplacement permanent et de notre focus sur les artistes femmes, nous sommes la seule association de ce type au monde, concept novateur, qui contribue à la visibilité des artistes femmes au niveau national et international grâce à à des conférences, des ateliers et des visites guidées réalisés au moyen de leurs oeuvres et dans lesquelles le concept de "l'intime" - c’est-à-dire, le lien existant entre leur vie et leurs œuvres et la manière dont la société peut les impacter - est central.
Il est dédié à Rose-Marie Berger (1922-2019)- plus connue pour avoir été l'épouse du grand historien de l'art, philosophe et ancien directeur-conservateur du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, René Berger (1915-2009). Elle était une artiste de talent, comme beaucoup d'artistes femmes avant elle et aujourd'hui, dont le travail n'est, jusqu'alors, pas mis en lumière dans les musées ou encore dans les galeries.
"On ne devient pas artiste: on naît artiste." © Marie Bagi, présidente et fondatrice
Lumière sur une artiste
Aujourd’hui je vous présente l’artiste Naomi Middelmann qui m’a accueillie dans son magnifique atelier très lumineux, se trouvant dans le quartier sous gare, à Lausanne.
Naomi commence par me dire que son travail actuel relate essentiellement la question de la mémoire et ce, depuis 2014 où elle a commencé un projet avec ses livres et cahiers d’école primaire et secondaire. En effet questionne-t-elle, que faisons-nous de toutes ses choses que nous gardons avec nous que ce soit en réalité ou en souvenir ? Qu’est ce qui nous définit ? Ce questionnement provient de son enfance, me dit-elle, et du fait qu’elle ait vécu à plusieurs endroits – elle possède trois passeports : américain par sa mère, allemand par son père et suisse par naturalisation. A seize ans, elle s’est installée à New York avec sa famille. La question de la migration et l’identité du migrant devient depuis central dans sa vie. Des réponses qu’elle cherche dans son art mais aussi à travers la philosophie, la psychologie et les neurosciences, me confie-t-elle. Qu’emporte-t’en avec soi quand on émigre et qu’est-ce qu’on laisse derrière soi, demande-t-elle ? Naomi aime poser des questions sans pour autant y répondre ou encore pas y répondre tout de suite. C’est ces questions qu’elle essaye de faire germer dans la tête du public. Ainsi, Naomi procède à une déconstruction de la toile qu’elle va appeler « painting deconstructed ».
La mémoire n’est pas fiable, ni fixe, ni figée poursuit-elle. Elle se construit et de déconstruit constamment. Ce dont on se souvient est changée par le contexte. C’est souvent une aubaine pour elle qui va utiliser cette flexibilité de la mémoire et comment nous pouvons la transformer. De ceci naissent des dessins sur toile, d’endroits où elle a vécu, visité ou imaginé. Comment recréons-nous ce monde ? Naomi le fait au moyen de cartes « géographiques » qu’elle dessine. Elle crée ainsi une cartographie de sa mémoire et sa migration personnelle. Son imagination et sa mémoire travaillent alors en tandem. Tout ce travail fait partie d’elle et va donc être partagé. Comment les retransforme-t-elle dans ses œuvres ? Elle appelle ce phénomène « reclaim » qui signifie récupérer, rendre à son état naturel, reprendre possession. Elle va ainsi reprendre possession des éléments de sa vie en les transposant de manière « physique » et ainsi en transformer leur lecture et signification. Par exemple, elle me montre une sculpture réalisée avec ses livres de mathématiques et d’allemand ; une œuvre telle une sphère de couleur noire, donnée par la brou de noix (un colorant naturel), ouverte, où nous pouvons glisser nos mains à l’intérieur pour ainsi plonger métaphoriquement dans les souvenirs de l’artiste. C’est comme une grande graine ouverte sur le monde. Durant l’étape de transformation, elle m’explique qu’elle a mis six mois à déchirer tous les cahiers pour ensuite les transformer en sculptures de 40cm de diamètre à plus de 1m de diamètre.
Le thème qu’elle abordera ensuite est celui de la transparence qui permettra de jouer avec le contexte dans lequel l’œuvre est placée. Elle va utiliser le plexiglas comme support afin de déconstruire les diverses couches utilisées tel une IRM de la toile qu’elle déconstruit en couche transparente. Tout le contexte est en lien avec l’œuvre, même le public va jouer un rôle prépondérant pour l’œuvre ; il va également déconstruire l’œuvre au moment de la contemplation. Cela va même jusqu’à l’utilisation d’une autre technique qui est le papier japonais utilisé dans la restauration des œuvres. Elle travaille avec une feuille de papier sur une autre ; la perméabilité du papier permet au dessin de se transposer sur la couche subjacente. Cela donne l’impression d’une œuvre calquée mais transformée (comme une trace laissée en mémoire). De nouveaux éléments apparaissent sur le papier et donnent la possibilité au papier de s’exprimer en choisissant la trace qui va se montrer. Cela permet également à Naomi d’expliquer comment certains événements lui sont revenus en mémoire. Le contexte se mue et elle y ajoute des appartements où elle a vécu, le chemin de l’université qu’elle a fréquentée ou encore le chemin qu’elle a emprunté pour aller à son premier travail à New York. En soi, elle réalise des cartographies en revisitant ses souvenirs et en explorant comment la question de temps et espace qui n’est pas linaire dans nos souvenirs. Nos souvenirs se croisent et s’entrecroisent constamment selon le contexte et le vécu?
Pendant le premier confinement, elle ne pouvait pas se rendre à l’atelier avec deux enfants à la maison. Elle a donc décidé de créer de petits mondes distincts qu’elle a intitulés les Mapping of Tiny Spaces, une cartographie d’endroits imaginaires et réels. C’était une façon d’agrandir un monde qui d’un coup s’était rétrécit, me dit-elle. A son retour à l’atelier, elle a recommencé à travailler sur de grands formats. Récemment elle a ajouté dans ses œuvres de la couleur fluo tel que le rose ; qui n’est pas une volonté de marquer le féminin dans sa toile, précise-t-elle. Cela ne se veut pas esthétique mais plutôt révélateur de puissance, de force dont témoigne l’œuvre. Elle me dit ainsi, en riant, que cela réveille. Je lui demande donc pourquoi ce choix du noir et blanc dans ses œuvres. Elle me répond qu’il s’agit de revenir à quelque chose d’élémentaire, de pure qui rejoint ici le dessin ; la technique qui permet de montrer les formes dans son essence même. Les personnages qui apparaissent dans certaines de ses œuvres sont représentées en position recroquevillée et font référence aux migrants se trouvant sur les bateaux et témoignent de cette souffrance qu’ils portent.
Avant de se consacrer uniquement à son art, Naomi a connu un parcours en finance et marketing dans un maison d’édition à New York. L’acte de s’adonner complétement à son travail artistique, était un moyen pour elle de réfléchir, réagir et comprendre ce qu’il se passe dans le monde à l’heure actuelle. Ainsi, elle me parle d’« art de l’histoire ». Je lui dis que c’est un peu comme ce que les peintres néoclassiques faisaient lorsqu’ils rendaient compte des événements principaux s’inscrivant dans l’histoire contemporaine ; une démarche très intéressante puisque, de nos jours, beaucoup de faits perturbateurs ou non, se passent.
Petite, elle écrivait beaucoup de poésies. Elle avait d’ailleurs étudié le « creative writing » et les sciences sociales au Johns Hopkins University aux USA et souhaitait même devenir écrivaine. Mais, avec le temps, ce qu’elle souhaitait vraiment, c’était de trouver une autre façon de raconter et comprendre les choses, me dit-elle. Elle a commencé par prendre des cours de création de vitrail à Monthey ce qui lui a permis de toucher directement la matière. Puis elle ira à Bâle pendant 4 ans, où elle étudiera à la Visual Art School qui lui permet d’étudier la gravure, la peinture et le dessin académique. Elle recevra son diplôme postgrade en 2009. La thématique est toujours la même mais elle évolue. En utilisant des techniques différentes, comme la gaze et le plexiglas, cela lui permet de comprendre les choses différemment ; elle parle de « gymnastique plastique » et « de recherche ». C’est une recherche qui lui permet de collaborer activement avec des neuroscientifiques et des académiques.
Abordant la thématique de la maternité – elle a deux filles, Naomi me dit que cela lui a donné la force et le courage de travailler sur ses toiles de manière moins hésitante. Ceci lui confère aussi une soif de création et un sérieux dans ce qu’elle entreprend. Tout ce qu’elle entreprend, ajoute-t-elle, elle le fait avec tout son être artiste. Il n’y a pas de séparation entre la femme et l’artiste. L’être artiste est présent à chaque moment de sa vie. Par ailleurs, Naomi réalise, dans le cadre de ses activités artistiques, des ateliers pour les enfants dans les structures de jour du département pédopsychiatrique du CHUV. C’est un travail qui nourrit sa recherche artistique et qui lui passionne.
En soi, une belle découverte que celle du travail et de la personnalité de Naomi avec laquelle je me réjouis de continuer la collaboration. Elle a beaucoup à apporter avec son art et sa personne qui méritent tous deux d’être connus et même reconnu grâce à cette merveilleuse démarche artistique qui est la sienne.
Auteure : Marie Bagi, docteure Histoire de l’art contemporain et Philosophie
Publié le 28 décembre 2020