top of page

*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Darika Phophan 

"Peintresse"

Les amoureux de Locarno
La Fin

           Aujourd’hui je vous présente l’artiste Darika Phophan que j’ai eu le plaisir de rencontrer à la Brasserie de Chailly, autour d’un café. Au fur et à mesure de la discussion, je découvre qu’elle possède un parcours intéressant qui englobe un rapport à l’art dont la vision a été très marquée par la solitude, déjà depuis l’enfance.

Darika est née en Thaïlande, plus précisément dans la province de Nakhon Pathom. Elle grandit avec ses grands-parents, sa mère et ses trois sœurs et frère. Elle n’a jamais vécu avec son père, décédé après ses études. Sa mère a fait un très grand sacrifice de vie afin de maintenir sa famille financièrement et elle ne l’oubliera jamais. Elle a toujours cru en elle et à son travail artistique. Déjà enfant, Darika est fascinée par le dessin qui l’accompagne. C’est un besoin, me dit-elle, qui a renforcé son sentiment d’être artiste. Née à la campagne, personne de son entourage a compris son envie de faire les Beaux-Arts. Mais elle se sent réellement elle-même avec les arts qui vont faire ressortir chez elle ces côtés de la solitude mais aussi l’absorption du beau de la vie qui vont être le moteur de son désir de dessiner. Sans se poser de questions, elle sait que les Beaux-Arts vont être la solution pour faire vivre cet être artiste qui l’anime. Après l’école, elle part donc à Bangkok faire l’école des Beaux-Arts appelée « Silapakorn » où elle se spécialise en art traditionnel thaïlandais. Cette formation lui permet de s’émanciper en tant qu’artiste mais va aussi l’aider à toucher des domaines comme le marketing mais aussi le design. Elle y apprend également l’histoire de couleurs provenant de la nature mais aussi la texture.

Mère d’un fils de treize ans, Darika s’est installée en Suisse il y a huit ans. Elle s’adonne à sa peinture, qui ne la quittera jamais, et s’occupe de sa maison, de sa famille. Son mari, ingénieur, est en contact avec l’art depuis l’enfance. Il l’accompagne à deux expositions en 2021 et l’aide dans le quotidien pour faire avancer son art. En mai dernier, elle a donné des cours intitulés « l’atelier des couleurs de la nature » à Pôle Sud à Lausanne, une première en Suisse qu’elle compte renouveler. Fascinée par les couleurs en Suisse, elle ramasse des feuilles mortes pour réaliser ses propres pigments, mais aussi va jouer avec la lumière qui se reflètent dans la nature. Elle étudie les arbres et leurs feuilles qui tombent et qui vont créer du mouvement dans ses toiles mais aussi fait revivre les couleurs observées. Les paysages suisses, comme la campagne ou les vignobles, deviennent lieux de recherches et de « ramassage de couleurs », comme elle le dit si bien, mais aussi l’aident dans l’élaboration de ses portraits. Elle se sent bien en Suisse car elle est toujours à la découverte d’éléments nouveaux même si parfois, la nostalgie de la Thaïlande lui fait écho. Mais cette dernière était fermée à son rapport à l’art et elle ne pouvait pas s’exprimer de manière personnelle. Elle a exposé dans le cadre des Beaux-Arts mais elle a senti une réelle différence de traitement entre les femmes et les hommes. La femme, restreinte, ne peut pas présenter des œuvres de contenus sexuels. Les sujets sont aussi limités pour toutes et tous excluant ainsi la politique ou encore la violence mais aussi l’image du roi thaïlandais représenté avec un mauvais aspect sous peine de quinze ans de prison. Plus encore, de sa religion bouddhiste, elle ne peut pas représenter Bouddha dans ses dessins car cela engendre une attitude négative et donc, un risque d’à aller en prison. La liberté d’expression étant fondamentale, il fallait prendre la décision de partir afin de réaliser son travail pleinement. Elle soutient de manière assidue la production d’artistes thaïlandais mais cela, depuis la Suisse. A la campagne où elle a grandi, l’oppression de la femme est constante. Il y a trente-cinq ans, lorsqu’une fille naissait, elle était abandonnée ou vendue. En cela, Darika cherche à restaurer cette image de la femme et a ainsi choisi de garder son nom de famille. Elle possède une réelle envie de se rebeller contre le machisme. Étudiante déjà, elle ne se comporte pas comme une jeune fille que la société aurait façonnée. Elle boit et dort dans la rue. Elle réalise de l’art à côté des Beaux-Arts et pendant quatre ans, elle dit vivre intensément. La véritable liberté, comme elle le dit. Ses œuvres expriment sa force, son énergie et rentrent dans l’émotionnel. L’un des professeurs les accompagnera avec son groupe en bus afin d’aller étudier les techniques artistiques chez les artistes traditionnels et, ainsi créera des liens avec ce groupe. La notion de partage est alors centrale pour ce professeur et Darika partage ce point de vue. Soutenue par sa mère pour le matériel artistique aux Beaux-Arts, elle le partage avec les autres étudiants.

Elle me présente ensuite des flacons avec diverses pelures, d’avocats, de citrons ou encore d’oranges, mais aussi des feuilles d’érable verte – pour signifier le printemps, broyées, qui lui servent à réaliser les pigments de sa peinture. Tous ces mélanges se trouvant dans des flacons en verre afin de lutter contre l’utilisation du plastique et ainsi, se projeter dans l’art durable. Toute cette explication, je la suis avec intérêt et admiration. Darika est passionnée par son travail et cela se ressent. Les idées fusent et naissent dans des contextes divers. Sa formation l’a toujours poussée à faire des recherches sur des techniques nouvelles et nous pouvons ressentir cette acuité pour la découverte dans son art. Ce dernier vient de la volonté de toujours vouloir créer ; c’est une obsession et un besoin. L’art lui fait sortir de ses états émotionnels intenses en les lui faisant traduire toujours au travers de la peinture. Impossible de mettre ses émotions par écrit, elle a tout fait pour arriver à son médium. La pulsion créatrice est là avec son corps et donc elle pourrait perdre un membre si cela s’arrêtait. C’est une énergie vitale !

 

​

Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

​

Publié le 11 juillet 2022

​

 

bottom of page