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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Gioia Roccia 

Peintresse

                     Aujourd’hui je vous présente l’artiste Gioia Roccia qui m’a accueillie chez elle, dans son atelier-galerie d'art à Echandens. Elle commence l’entretien par une belle visite de son jardin qui est un véritable bonheur car je ressens toute la vie qui a eu lieu ici durant toutes les années où elle a vécu en Suisse – en effet, c’est son père qui a construit la maison familiale divisée en appartements pour chacun de ses enfants. Une vie intéressante qui l’a portée à découvrir son être artiste au moment où elle s’y attendait le moins. Rencontre.

Gioia est née en Italie, dans un petit village de montagne dans la région de Naples. C'est aussi le lieu de naissance d'un cinéaste célèbre, Ettore Scola. Elle est arrivée en Suisse pour la première fois lorsqu’elle avait quatre ans pour repartir quelques mois après car ses parents ne pouvaient pas rester à la maison pour garder leurs enfants.  Le droit de rester en Suisse passait par un travail qui permettait l'obtention d'un permis. Elle a donc été placée de ses quatre à ses neuf ans dans un collège catholique de sœurs proche de son village natal. Aujourd'hui ce collège n'existe plus, c'est un musée des arts traditionnels qui a pris la place. Quel joli clin d'œil du destin ! A neuf ans, elle revient en Suisse et apprend le français avec une jeune maîtresse qui lui enseigne comment prononcer les lettres tels que le « o », le « r » ou le « u », très différents de l’italien. En trois mois, c’était dans la poche, me dit-elle en riant. Elle a toujours été une fille vivante qui allait facilement vers les autres, habituée au partage, à la communauté, ajoute-t-elle. Adolescente, elle voulait être écrivain, sa maîtresse avait lu sa composition devant toute la classe car elle l’avait trouvée très bien. C’est un moment dont elle se souvient avec bonheur, d’avoir été mise en avant cela lui avait fait un bien fou. C’est aussi à neuf ans qu’elle se découvre un goût pour la musique grâce à une copine d'école. Ce n'est que bien plus tard que ses parents lui offrent un piano. Elle suit des cours de solfège, apprend les bases. Elle a vendu ce fameux piano il y a deux ans.  Toutes ces choses, me confie-t-elle, sont toujours arrivées en décalage dans sa vie… c’est la raison pour laquelle sa vocation artistique s'est concrétisée si tardivement.

Enfant rebelle elle s'insurge contre le système de l’ordre, le patriarcat, l'inégalité entre les hommes et les femmes, les enfants africains qui mouraient de faim, décroche de l'école, fait l'école buissonnière. Alors que ses parents étaient venus en Suisse pour donner à leurs enfants une vie plus confortable, pour s’épanouir. Elle ne l’a pas tout de suite compris, normal lorsque nous sommes adolescents. Elle possédait déjà son âme d’artiste à cette époque. Les sensations, la beauté, la curiosité, les émotions faisaient partie de son quotidien.  Elle avait besoin d'espace, de liberté, faire des expériences, rencontrer des gens intéressants, elle savait qu’elle ne voulait pas d'un avenir traditionnel : mariage, enfants. A dix-sept ans, elle part à Londres, c’est ce qui a amorcé son chemin personnel, me dit-elle. Elle a été jeune fille au pair pour quelques semaines dans une famille et devait s’occuper des enfants alors qu’elle voulait que l’on s’occupe d’elle. Elle a préféré être dans la vie active, bien plus stimulante, a eu plusieurs petits jobs, a travaillé dans un pub, elle louait un petit logement près de la gare Victoria. Elle a adoré cette période londonienne qui a été difficile mais riche et intense au niveau des expériences humaines.  De retour en Suisse, après avoir faits plusieurs petits boulots elle se dirige dans le milieu administratif, obtient un CFC d'employée de commerce en quelques mois par le biais de l'art. 41. Les portes du gymnase du soir s'ouvrent grâce à son CFC et enfin l’université qu’elle commence à vingt-neuf ans. Faire des études était primordial dit-elle, une soif d'apprendre, d'évoluer.  Son parcours de vie compliqué l’a empêché d'avoir un cursus scolaire ininterrompu.  Les filles de migrants, étaient rarissimes à l'université à la fin des années '80.  Il a fallu tout reprendre, recommencer à zéro, rattraper l'école, les examens, les diplômes. Reconstruire tout ce qui avait été laissé en rade par le passé. Un chantier énorme mais c'était faisable dit-elle.  Trouver sa place dans la société, gagner sa vie, devenir autonome, c'était une question de vie ou de mort.

A l’université, elle trouve cette liberté d’étudiante et empoche sa licence de psychologie qui lui permet de trouver du travail dans le canton de Fribourg, gérant des cas désespérés dans une fondation aux Sciernes d’Albeuve. Elle vivait seule dans un chalet - non loin de son travail et avait la sensation d’être comme le personnage d’Heidi qu’elle a découvert à neuf ans – le premier livre qu’elle a lu. Les illustrations étaient tellement belles, le récit si doux, tout la plongeait dans un monde idéal. Le paradis perdu de son enfance. Elle voulait vivre dans la nature, élevant des chèvres comme Heidi. Sauf que la réalité était plus dure avec les résidents en quête d’attention permanente. Durant cinq ans, elle a accompagné ces personnes incurables, sans avenir, précarisées à un point extrême et en demande de tout.  Puis, elle part travailler à l’Hôpital de Cery à Prilly dans un milieu complètement à l'opposé, celui de la recherche. Elle y entre comme simple stagiaire, elle ne craint pas de repartir à zéro, pour devenir psychologue cadre après quelques années. Ce métier lui a permis une évolution personnelle incroyable.

C’est au contact d'un sophrologue, consulté pour arrêter de fumer, alors qu'elle avait vingt-quatre ans qu’elle a découvert son être artiste.  Il lui a fait passer différents tests pour cerner son profil de personnalité et c’est l’art qui en est ressorti. Elle s’est inscrite alors à son premier cours d'initiation à la peinture. Une fois son premier tableau achevé, reproduisant un paysage à la gouache de Vincent Van Gogh (1853-1890), ce fut un enchantement dit-elle, elle ne se croyait pas capable de réaliser quelque chose d'aussi beau. Ce moment d'intense jubilation fut une découverte. Depuis, son parcours artistique s'est fait par étapes successives avec des pauses de plusieurs années. Plusieurs cycles, un à vingt-quatre puis à quarante ans, âge auquel elle a repris des cours à l’atelier-galerie du Magnolia d’Anne-Laure Aebischer.  Durant trois ans, elle apprend à manier l’aquarelle, la gouache, le pastel, le fusain et l’huile. L'ambiance de l'atelier était très sympa, nous pouvions parler de tout, rire, s'amuser, dit-elle. A quarante-neuf ans, elle fait sa première exposition chez Anne-Laure Aebischer et en 2022, après avoir pris une retraite anticipée, crée son propre atelier-galerie dans sa maison à Echandens où elle montre ses derniers travaux lors de ce vernissage inaugural. Une prochaine exposition est prévue du 7 au 20 avril 2024 à la Galerie 52 à Saint-Sulpice. C’est aujourd’hui avec son activité d’artiste qu’elle se sent la plus épanouie. Libérée des contraintes, professionnelles, économiques, c'est le Nirvana ! me dit-elle en riant. Cette liberté, une conquête, le fruit d'un travail et d'une réflexion constante.

Ses peintures, des grands formats à l'acrylique, sont des fenêtres sur le monde, elle visite des espaces, des lieux ou "topos" où la quête est une recherche esthétique aboutissant à une harmonie, une vibration faisant palpiter les couleurs, comme les battements d'un cœur.  Dans la réalisation de chaque tableau, il y a toujours différentes étapes, l'urgence en est une, mais il y a aussi des pannes, des moments où rien ne se passe, c'est le découragement. Puis en persévérant, en luttant avec la matière, l'ensemble s'harmonise et la toile devient un chant pictural. Ces moments sont aussi beaux que l'amour….  L'investissement est total, c'est à ce niveau que se situe la relation avec l'intime, dit-elle. Chaque fois qu'un tableau est terminé, elle ressent un bonheur comme une nouvelle naissance dans la maison, objet de tous les regards, toutes les attentions. Dans son travail, n'y a aucun message, ni politique ni social, ce n'est pas une peinture engagée, ajout-elle. Elle n'éprouve aucune gêne à l'affirmer. "Je fais une peinture triviale pour gens sérieux..." c'est une formule empruntée à Oscar Wilde (1854-1900), quand il parle d'une de ses œuvres de théâtre dans le domaine de la littérature.

Le mot de la fin fut qu’un monde sans art n’est pas possible, me dit-elle. Et j’ai pu le constater en contemplant toutes ses œuvres dans son atelier-galerie, un endroit merveilleux où la magie opère. La volonté de transmettre la joie – comme son prénom l’indique – est primordiale dans son travail. Ainsi, Gioia arrive à nous emmener dans son univers artistique jonché de paysages colorés dans lesquels la liberté est le mot d’ordre, un talent inné.

 

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Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

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Publié le 9 septembre 2023

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