Aujourd’hui, je vous présente Lala Drona, une artiste fascinante dont le parcours est un voyage introspectif et une exploration artistique audacieuse, mêlant peinture, vidéo et écriture. Rencontre.
Lala décrit son histoire comme une "genèse sans début". Elle a toujours créé depuis son enfance, confie-t-elle, mais l’art est devenu une obsession immersive durant son adolescence. Ce tournant artistique est indissociable d’une expérience intime : une agénésie mammaire gauche, une condition où son sein gauche ne s’est pas développé, tandis que le droit s’est développé normalement. Elle a gardé ce secret pendant des années, construisant sa vie autour de la nécessité de le protéger. L’art devient alors son refuge, un espace sûr pour exprimer ce qu’elle ne pouvait dire.
Lala explique comment cette expérience corporelle a façonné sa perception du monde et influencé ses créations. Nous sommes définis par nos corps : nos parties corporelles, notre expression genrée, ou encore la couleur de notre peau, ajoute-t-elle. Inspirée par sa poitrine mi-naturelle, mi-synthétique, elle questionne les notions de réel et d’artificiel, particulièrement dans l’identité féminine. Après une opération de reconstruction mammaire à l’âge de 16 ans, elle s’interroge sur ce que signifie être une femme : où se situe la frontière entre le naturel et l’augmenté ?
Ces réflexions l’accompagnent lorsqu’elle décide d’entrer en école d’art, qu’elle quitte finalement, jugeant ce cadre trop formaté. Elle poursuit alors un cursus en écriture créative, tout en continuant sa pratique artistique. C’est dans ce contexte qu’elle invente Lala Drona, une artiste fictive dirigeant un laboratoire d’art. Ce personnage devient son pseudonyme, puis son identité artistique, un processus qui l’aide à accepter son corps et les transformations liées à ses chirurgies.
En 2012, Lala décide de lever le voile sur son corps à travers une série de peintures autobiographiques intitulée "The Breast Series". Ces autoportraits étaient essentiels pour contextualiser son travail futur. Elle voulait être transparente avec le public. Cette exposition agit comme une catharsis et crée des connexions inattendues : des spectateurs lui ont parlé de parties de leur corps qu’ils considèrent comme uniques ou différentes. Montrer son corps en public a été perçu comme un acte politique, bien que pour elle, ce n’étaient que des portraits personnels, me dit-elle.
Lala explore plusieurs médias dans ses projets, en tissant des dialogues entre eux. Avec Based on a Fact (2012-présent), elle invente un univers fictif peuplé de personnages et de récits critiques sur le monde de l’art. Ce projet inclut des articles satiriques, des vidéos et des peintures, créant une expérience immersive pour le spectateur. Chaque peinture dans cet univers n’est pas seulement une œuvre, mais le produit d’une histoire et d’un contexte inventés, me dit-elle.
Ses œuvres récentes incluent des peintures, des vidéos et des performances qui interrogent la frontière entre l’artiste et son travail. Lors de son exposition The Box (2019) à Göteborg, elle projette une vidéo d’elle-même enfermée dans une boîte, dialoguant visuellement avec ses peintures accrochées aux murs. Cette mise en scène illustre la tension entre le réel et le symbolique, entre l’artiste en tant que personne et son rôle dans l’espace d’exposition.
Lala travaille actuellement sur une série intitulée "Rage under Gray", née de sa décision de subir une mastectomie totale pour retirer ses implants mammaires et éviter de futures interventions. Ces nouvelles peintures explorent la rage cachée sous les couches de transition. Une surface grise est tirée pour révéler un rouge sanglant en dessous. Ces œuvres, ancrées dans la colère et la libération, symbolisent son chemin vers la liberté physique et psychologique.
Lala souhaite que son travail inspire d’autres femmes à aimer et accepter leurs corps, même après une perte physique. Il est essentiel de poser la question : qu’est-ce qui nous rendrait la plus heureuse et en sécurité à long terme ? Son choix de retirer ses seins représente pour elle une renaissance et une redéfinition de ses priorités : se concentrer pleinement sur son art et son bien-être.
À travers ses peintures, ses vidéos et ses récits, Lala redéfinit les frontières entre l’art et l’intime. Elle transforme ses expériences personnelles en récits universels, explorant les thèmes de la féminité, de l’identité et de la résilience. Son art, profondément cathartique et engagé, invite le spectateur à réfléchir sur son propre rapport au corps et à la société. Lala Drona nous rappelle que l’art peut être un outil puissant pour révéler l’invisible, guérir l’âme et inspirer le changement.
Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l'art contemporain et Philosophie
Publié le 1er février 2021