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Lumière sur une artiste

Marie Bagi vous présente,

 Laura Zimmermann 

"Artiste"

Aujourd’hui je vous présente l’artiste Laura Zimmermann qui m’a envoyé une partie de son portfolio par email et dont j’ai trouvé les œuvres très prenantes et parlantes. Nous nous sommes rencontrées au Bleu Lézard autour d’un café. Cette rencontre m’a beaucoup touchée car j’ai senti que Laura avait beaucoup à partager tant par sa personne que par son art.

            

Si l’on en croit le journal de sa grand-mère, Laura a décrété à 7 ans vouloir devenir artiste. Elle a, par la suite, suivi des études à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris en « section design vêtement ». Mais elle n’était pas satisfaite de cette voie. C’est pourquoi, en sortant de cette école, elle choisit de retourner à la peinture, son premier amour. Laura me confie qu’elle travaille sur des séries liées à ce qu’elle vit dans son quotidien. A dix-huit ans, elle crée une série intitulée « Party People » sur le thème de la fête. Elle utilise de la peinture acrylique pour le bâtiment et couche sa toile au sol, à plat, afin que la peinture puisse vivre seule et donner un effet non contrôlé mais exploité ; cela modifie les images et donne une certaine impulsion à la toile. Elle ne donne pas de titre à ses toiles, en général, car elle crée des contextes non explicites qui sont le fil rouge de l’interprétation du public.

            

Sa série sur les « armes » intitulée « La Violence Ordinaire » pose une question existentielle qui est : quelle influence les adultes ont sur les enfants ? La violence éducative par les gestes et les mots est très présente dans certains milieux et Laura la dénonce. Elle représente cette violence par l’arme à feu. D’après des photographies d’enfants armés, elle va mettre sur toile des instants fixes où les enfants possédant une arme réelle ou factice sont prêts

à s’en servir. Dans les dernières toiles, l’arme va disparaître et laisser la place à une grosse tache blanche. Une volonté de l’artiste de mettre en situation le spectateur qui peut projeter ce qu’il souhaite. Elle nous interroge ainsi sur les effets de cette violence ordinaire que nous transmettons à travers nos comportements et nos paroles, parfois sans même nous en rendre compte. Laura me confie qu’elle eut toutes sortes de réactions face à cette série, des bonnes comme des mauvaises. Sa série « Quand l’horizon blanchit à peine » est le reflet d’une année de travail difficile, me dit-elle. En effet, c’est l’année où les attentats de Charlie Hebdo ont lieu ; il y a beaucoup de censure par la suite. Elle s’est posée la question de l’autocensure.             Devait-elle, elle aussi, se censurer sur la représentation en tant qu’artiste ? Anticiper les interprétations possibles du public ? Où était passée la liberté d’expression ? Elle connut un léger blocage comme un léger syndrome de la toile blanche. Elle a beaucoup lu les écrits de Gilles Deleuze (1925-1955), philosophe, qui écrivait ceci dans Logique de la sensation:

 

« C’est une erreur de croire que le peintre est devant une surface blanche. […] Le peintre a beaucoup de choses dans la tête, ou autour de lui, ou dans l’atelier. Or tout ce qu’il a dans la tête ou autour de lui est déjà dans la toile […] Si bien que le peintre n’a pas à remplir une surface blanche, il aurait plutôt à vider, désencombrer, nettoyer… » C’est en appliquant ce principe qu’elle peint « Le vide » où elle va montrer ce qu’il se passe lorsque nous nous retrouvons à un carrefour. C’est un moment de bascule, me dit-elle, réalisé d’après des photographies personnelles. Deux semaines avant l’une de ses expositions, les attentats au Bataclan se produisent. Après cette tragédie, elle choisit d’interroger le public et d’en garder les réponses sur papier. La thématique est l’horizon futur : que faisons-nous maintenant ? Il existe, continue-t-elle, une violence sous-jacente à toutes les séries car, malheureusement, elle fait partie de la vie. Mais cette violence va tendre vers un adoucissement certain avec la série

 

« Amour » où des éléments plus légers transparaissent tel que l’impression de mouvement qui rend la composition légère. Des dessins de toutes formes d’amour vont apparaître progressivement et c’est là que la violence existe encore car la sexualité peut être parfois perçue ou emprunte d’une certaine violence. Cela est probablement encore plus vrai lorsque c’est une femme qui s’empare de ce sujet, certains spectateurs s’imaginant cette dernière forcément disposée à rendre des faveurs sexuelles. C’est ainsi que nous pouvons constater que l’art peut être mal compris du public et que, grâce à son processus, Laura peut expliquer pourquoi et comment elle réalise ses œuvres.

            

Laura me raconte que, par manque de temps et de “lieu à soi”, elle a dû mettre en pause la peinture lorsqu’elle donna naissance à son fils. En revanche, elle ne cessa jamais de dessiner. Car, comme elle dit, avec le dessin elle peut travailler dans l’urgence. Ainsi elle peut continuer la création qui est vitale pour elle. Dans ce cadre, elle a créé une série intitulée « Salaï », comme le prénom de son fils, qui montre les diverses positions du visage du bébé – il bougeait beaucoup me dit-elle, et ça n’était pas facile de le représenter. Une autre série prend forme intitulée « Parasite » qui représente Salaï tétant au sein. Toujours collé à son sein, il devient alors le parasite de son corps. Elle réalise ces dessins in situ pour rendre la scène encore plus vivante. Les traits nous mettent d’ailleurs en situation et sont tracés de manière subjective. L’allaitement étant souvent tabou, Laura souhaite rompre avec cette idée. Il est tout à fait normal de nourrir son enfant ainsi, nous avons été constituées pour le faire et cela ne devrait pas être choquant en heurtant les consciences. Le thème de la maternité, encore mal perçu dans le milieu de l’art, est devenu central dans sa composition. Grâce à elle, Laura nous plonge dans son intime direct. Elle espère ainsi participer à libérer la parole et à améliorer les conditions de travail des artistes mères.

 

Laura apporte beaucoup dans son œuvre au public. Son talent à l’Espace permettra de faire comprendre que l’intime, élément définissant sa composition, peut apporter des clés de compréhensions majeures à l’art contemporain, dit au féminin.

 

 

 

Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

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