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Lumière sur une artiste

Marie Bagi vous présente,

"Artiste"

Je trouve votre travail incroyable et votre dévotion à l’art magnifique. Vous m’avez beaucoup inspirée lors de mon travail de recherches doctorales.

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Ma première question : comment en êtes-vous arriver à créer ?

 

J’ai commencé par la peinture, la sculpture, le dessin, comme beaucoup d’artistes, et j’y reviens parfois. Je suis même brièvement passée par les Beaux-Arts de Saint-Étienne mais j’ai rapidement arrêté car la formation était très classique, c’était avant la réforme des écoles d’art. J’ai toujours écrit ce que j’appelle mes « peauaimes »,  toutes les nuits depuis toujours.  Je suis passée par le théâtre et puis la performance s’est rapidement imposée à moi.

Ensuite, je n’ai jamais arrêté de créer, qu’il s’agisse de photographie, d’œuvres avec de la réalité augmentée, de la robotique, de l’intelligence artificieulle, de performances, d’opérations-chirurgicales- performances, etc.

Ce que je cherche avant tout c’est de trouver la bonne matérialité pour une œuvre : pour cette raison j’ai utilisé des supports très différents.

Concernant la dévotion pour l’art à laquelle vous faites référence, je n’ai de cesse de répéter cette phrase de Nieztsche, « nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ». C’est le titre que j’ai d’ailleurs donné à la performance que j’ai faite à la fin 2018, au Président pour célébrer mon entrée à la galerie Ceysson & Bénétière.

 

  • Dans un entretien sur France Culture en mars, vous dites que vous avez toujours fait de l’art, que vous ne savez pas faire autre chose. Est-ce que vous pensez, tout comme moi, que l’on ne devient pas artiste mais que l’on naît  artiste ?

 

Les deux se conjuguent, le besoin de s’exprimer est là, mais c’est l’étude de l’histoire de l’art et l’élaboration de l’œuvre ainsi que son positionnement par rapport au monde et à l’art contemporain qui professionnalise le fait d’être artiste.

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Il est certain qu’il y a deux types d’artistes : ceux qui créent de manière très instinctive, assez naïvement qui attendent de la société la même réaction que celle de leur mère lorsqu’ils apportaient leur pot en disant « j’ai fait » et leur mère leur disait « ah ! comment tu es grand ! comment tu es gentil ! comment tu es beau ! comme ta maman t’aime ! ». Et il y a ceux dont je me réclame, qui réfléchissent au message qu’ils souhaitent passer, qui s’inspirent de tous les domaines de la société, qui sont au courant de ce qui se passe dans leur génération, des nouveautés, des artistes de leur génération, etc. Nous avons déjà les plantes, les meubles et les napperons pour décorer nos appartement, l’art que j’aime a du sens, des positionnements, des messages, doit être réfléchi, il ne vient pas spontanément.

 

  • Il est souvent dit de votre œuvre qu’elle est reliée au « Body art » et que votre corps est votre œuvre ? Pourquoi un tel choix ? Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir votre corps comme support principal de votre œuvre ?

 

Je ne me revendique pas du Body art mais de « l’art charnel », dont j’ai écrit le manifeste en 1975. Je veux échapper au corps douleur et revenir au corps-plaisir.

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Mon corps est un matériau comme un autre matériau. Ce n’est jamais le matériau qui m’intéresse, je choisi seulement le matériau qui me permet au mieux de traduire le message que je veux exprimer, comme je vous l’ai dit.

 

“L'ART CHARNEL” DÉFINITION :

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L'ART CHARNEL EST UN TRAVAIL D'AUTOPORTRAIT AU SENS CLASSIQUE, MAIS AVEC DES MOYENS TECHNOLOGIQUES QUI SONT CEUX DE SON TEMPS. IL OSCILLE ENTRE DÉFIGURATION ET RÉFIGURATION. IL S'INSCRIT DANS LA CHAIR PARCE QUE NOTRE ÉPOQUE COMMENCE À EN DONNER LA POSSIBILITE. LE CORPS DEVIENT UN “READY-MADE MODIFIE” CAR IL N'EST PLUS CE READY- MADE IDEAL QU'IL SUFFIT DE SIGNER.

 

DISTINCTION :

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CONTRAIREMENT AU “BODY ART” DONT IL SE DISTINGUE, L'ART CHARNEL NE DÉSIRE PAS LA DOULEUR, NE LA RECHERCHE PAS COMME SOURCE DE PURIFICATION, NE LA CONÇOIT PAS COMME REDEMPTION. L'ART CHARNEL NE S'INTÉRESSE PAS AU RESULTAT PLASTIQUE FINAL, MAIS A L'OPÉRATION-CHIRURGICALE- PERFORMANCE ET AU CORPS MODIFIE, DEVENU LIEU DE DEBAT PUBLIC.

 

ATHEISME

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EN CLAIR, L'ART CHARNEL N'EST PAS L'HÉRITIER DE LA TRADITION CHRÉTIENNE, CONTRE LAQUELLE IL LUTTE ! IL POINTE SA NÉGATION DU “CORPS-PLAISIR” ET MET À NU SES LIEUX D'EFFONDREMENT FACE A LA DECOUVERTE SCIENTIFIQUE.

 

L'ART CHARNEL N'EST PAS DAVANTAGE L'HÉRITIER D'UNE HAGIOGRAPHIE TRAVERSÉE DE DÉCOLLATIONS ET AUTRES MARTYRES, IL AJOUTE PLUTÔT QU'IL N'ENLEVE, AUGMENTE LES FACULTÉS AU LIEU DE LES RÉDUIRE, L'ART CHARNEL NE SE VEUT PAS AUTOMUTILANT.

L'ART CHARNEL TRANSFORME LE CORPS EN LANGUE ET RENVERSE LE PRINCIPE CHRÉTIEN DU VERBE QUI SE FAIT CHAIR AU PROFIT DE LA CHAIR FAITE VERBE ; SEULE LA VOIX D'ORLAN RESTERA INCHANGÉE, L'ARTISTE TRAVAILLE SUR LA REPRÉSENTATION.

L'ART CHARNEL JUGE ANACHRONIQUE ET RIDICULE LE FAMEUX “TU ACCOUCHERAS DANS LA DOULEUR”, COMME ARTAUD IL VEUT EN FINIR AVEC LE JUGEMENT DE DIEU ; DÉSORMAIS NOUS AVONS LA PÉRIDURALE ET DE MULTIPLES ANESTHESIANTS AINSI QUE LES ANALGÉSIQUES, VIVE LA MORPHINE! À BAS LA DOULEUR !

 

PERCEPTION :

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DÉSORMAIS JE PEUX VOIR MON PROPRE CORPS OUVERT SANS EN SOUFFRIR …JE PEUX ME VOIR JUSQU'AU FOND DES ENTRAILLES, NOUVEAU STADE DU MIROIR. “JE PEUX VOIR LE COEUR DE MON AMANT ET SON DESSIN SPLENDIDE N'A RIEN A VOIR AVEC LES MIEVRERIES SYMBOLIQUES HABITUELLEMENT DESSINÉES”.

- CHÉRIE, J'AIME TA RATE, J'AIME TON FOIE, J'ADORE TON PANCREAS ET LA LIGNE DE TON FEMUR M'EXCITE.

 

LIBERTE

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L'ART CHARNEL AFFIRME LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ARTISTE ET EN CE SENS IL LUTTE AUSSI CONTRE LES APRIORIS, LES DIKTATS ; C'EST POURQUOI IL S'INSCRIT DANS LE SOCIAL, DANS LES MÉDIA (OU IL FAIT SCANDALE PARCE QU'IL BOUSCULE LES IDÉES REÇUES) ET IRA JUSQU'AU JUDICIAIRE.

 

MISE AU POINT :

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L'ART CHARNEL N'EST PAS CONTRE LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE, MAIS CONTRE LES STANDARDS QU'ELLE VÉHICULE ET QUI S'INSCRIVENT PARTICULIEREMENT DANS LES CHAIRS FÉMININES, MAIS AUSSI MASCULINES. L'ART CHARNEL EST FÉMINISTE, C'EST NÉCESSAIRE. L'ART CHARNEL S'INTÉRESSE À LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE, MAIS AUSSI AUX TECHNIQUES DE POINTE DE LA MÉDECINE ET DE LA BIOLOGIE QUI METTENT EN QUESTION LE STATUT DU CORPS ET POSENT DES PROBLÈMES ETHIQUES.

 

STYLE :

 

L'ART CHARNEL AIME LE BAROQUE ET LA PARODIE, LE GROTESQUE ET LES STYLES LAISSES-POUR-COMPTE, CAR L'ART CHARNEL S'OPPOSE AUX PRESSIONS SOCIALES QUI S'EXERCENT TANT SUR LE CORPS HUMAIN QUE SUR LE CORPS DES OEUVRES D'ART.

L'ART CHARNEL EST ANTI-FORMALISTE ET ANTI-CONFORMISTE.

 

  • Un des concepts principaux de mon travail de thèse a été celui de l’intime. Dans votre œuvre, nous pouvons dire que votre corps en est le protagoniste. Mais existent-ils d’autres éléments qui interviennent également et qui vous semble tout aussi relié au concept de l’intime dans votre travail ?

 

On peut parler de l’intime sans jamais montrer son corps… Quand j’ai utilisé les draps de mon trousseau dans diverses œuvres dès les années 1970, j’ai exploré des thématiques comme ma relation à la famille et à la mère qui me semblent très intimes.

J’ai essayé de me défaire de l’intime. Je n’aime pas les racines, elles nous ensevelissent et nous empêchent d’être libres : j’ai d’ailleurs enlevé mon nom parental et une des mes œuvres, Plaisirs brodés est une manière d’utiliser l’héritage et de m’en défaire.

 

  • Pouvez-vous me parlez d’une œuvre en particulier et son processus  de création ?

 

Je peux par exemple parler de ma dernière série, Les femmes qui pleurent sont en colère. Depuis longtemps, je voulais travailler sur les femmes de l’ombre, les inspiratrices, les muses, les modèles celles qui ont permis à nos grands maitres d’être ce qu’ils sont. J’ai donc entrepris une série à partir des œuvres de Picasso qui montrent ses partenaires comme Dora Maar et Jaqueline Roque, en train de pleurer. C’est une chose très étrange que de voir ces femmes uniquement en pleurs, et déchirés par cette manière  cubiste propre à Picasso ! J’en étais affolée. J’ai ainsi fait une série de photographies qui sont telles des collages, dans laquelle je reprends cette idée de point de vue éclaté pour questionner justement le trait de Picasso que j’estime énormément comme artiste mais exècre comme homme pour le sexisme qui le caractérise.

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Il y a d’abord eu tout un travail de réflexion et de sélection des œuvres, canoniques de Picasso présentant ses femmes ; ensuite il fallait m’hybrider, créer une Self-hybridations entre femmes, c’est le titre que j’ai donné à mes premières productions sur cette série.

Ensuite, j’ai exposé neuf nouvelles photographies à la Sorbonne Art Gallery, qui m’ont été commandées par le curateur de cette galerie, mon ami, Yann Toma. Elles ont également été exposées à beaucoup d’endroits, comme à TEFAF chez Caroline Smulders, ou à Beyrouth à la Galerie de l’Institut. C’est une série qui n’est pas terminée : j’aimerais interroger d’autres femmes de l’ombre, d’autres initiatrices mais laissées pour compte.

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  • Quand avez-vous pour la première fois réaliser une performance publique ?

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Dans les années 1960, avant même ma performance des marches au ralenti, j’étais la poétesse de Saint-Étienne, avec mon groupe d’ami.e.s artistes, on faisait des performances dans la rue qui se préparaient la veille pour le lendemain… Je ne me rappelle pas exactement de la première performance publique que j’ai réalisée.

 

  • Quelle(s) est/sont la(es) réaction(s) du public face à vos œuvres ? Les  émotions que vous suscitez sont, j’imagine, tellement fortes.

 

Mes opérations-chirurgicales-performances ont suscité des réactions très vives et très fausses : peu de sortes d’images nous obligent à fermer les  yeux : la mort, la souffrance, la torture, l’ouverture du corps, certains aspects de la pornographie, selon les sensibilités de chacun ou pour d’autres encore, l’accouchement. Les yeux deviennent des trous noirs dans lesquels l’image est absorbée comme de gré ou de force, ces images s’engouffrent et viennent taper directement là où ça fait mal, sans passer par les habituels filtres, comme si les yeux n’avaient plus de connexion avec le cerveau. Mon travail se situe entre la folie de voir et l’impossibilité de voir.

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Dans le cas de mes opérations-chirurgicales-performances, on a dit que j’étais la plus grande masochiste de l’art alors que le premier deal avec le chirurgien était « pas de douleur ». On a dit que j’avais fait plus de cent chirurgies…alors que je n’ai fait que neuf.

Mes œuvres convoquent souvent le public, j’en ai d’ailleurs souvent fait des interactives.

 

  • Comment la reconnaissance artistique est-elle arrivée ? Quelle œuvre ou quel fait, selon vous, sont à l’origine de votre reconnaissance artistique ?

 

Le Baiser de l’Artiste est une œuvre qui marque un tournant : il y a un avant et il y a un après. Les opérations-chirurgicales-performances aussi car mon corps est devenu lieu de débat public. On me reconnaissait dans la rue sans cesse. Mais aussi mes œuvres plastiques qui ont été beaucoup montrées dans des collections prestigieuses, comme celle du Centre Pompidou ou encore du MOMA à New York. Mais il y en a beaucoup d’autres.

 

  • Puis enfin, j’entreprends la démarche d’ouvrir un espace pour les artistes femmes (déjà présent sur les réseaux sociaux) et qui sera alors la mise en pratique de mon travail de recherches doctorales afin de contribuer à cette reconnaissance des artistes femmes ; en y réalisant toutes sortes d’activités.

   Dès qu’il ouvrira ses portes, seriez-vous intéressée à y réaliser une performance ou à y exposer ?

 

J’aime la sororité ! Et je dis oui à la vôtre. Merci.

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Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

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