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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Lara Manzini 

Peintresse

Le mur aux poissons - Lara Manzini
La souffrance dans le corps - Lara Manzini

            Aujourd’hui je vous présente la peintresse Lara Manzini que j’ai rencontré sur les bancs de l’école alors que j’étais âgée de quatorze ans. Nous nous sommes perdues de vue mais c’est l’art qui nous a fait nous revoir et plus particulièrement Espace Artistes Femmes que Lara suit et qui fait que nous commençons à travailler ensemble. Lara a toujours eu l’âme artiste, je le confirme, à l’école, tout ce qui était artistique l’attirait. Rencontre.

Lara est née à Lausanne d’un père italien originaire d’Istanbul en Turquie et d’une mère française. La première chose que Lara évoque, lors de l’entretien, c’est qu’elle n’entre pas dans les cases c’est-à-dire qu’elle n’est pas conventionnelle en tant qu’artiste – elle l’a toujours su – par, notamment, sa relation avec la matière et les couleurs instinctives et du fait qu’elle réponde à des besoins sensoriels précis. Dès sa plus tendre enfance, elle possède un atelier chez ses parents et se dit connectée à la matière à l’âge de trois et demi, déjà. La peinture, à laquelle elle s’adonne depuis quelques années, est comme une méditation pour elle. Tout ce qu’elle vit, elle le retranscrit au travers du pinceau. C’est une totalité énergétique, me dit-elle. Elle est actuellement en train de terminer une formation en art-thérapie à la HETSL (Haute école de travail social et de la santé de Lausanne).

A Paris, elle a étudié la médiation culturelle à l’IESA (Institut supérieur des Arts). Elle se dit alors stimulée voire foudroyée par les œuvres des autres. C’est un ressenti qui la pousse à aller vers les œuvres et qui va peut-être être ponctué d’un coup de foudre. Elle y trouve des connexions. Elle me confie alors posséder une passion pour l’œuvre d’Henri Matisse (1869-1954) et Wassily Kandisnky (1966-1944). Passionnée également de musique – elle chante très bien ! – elle ressent la musicalité de ses oeuvres. La connexion se fait alors d’autant plus forte. S’en suit alors le sujet concernant les expositions. Lara me dit que ce n’est pas anodin l’acte d’exposer car cela oblige les artistes à sortir de leur univers et surtout de le partager. Comme si, finalement, il ne leur appartenait pas, qu’il n’y avait plus de prise. Mais c’est aussi un dialogue avec l’autre et de comprendre ce qu’il voit. Et, ajoute-t-elle, finalement cela devient une nécessité car parfois les gens ne comprennent pas car elle dit que les artistes ont une temporalité différente des autres. C’est temporalité, Lara la connaît bien. Elle continue en disant que c’est un véritable chemin d’acceptation qui pousse souvent à cette question de légitimité – encore une fois, nous y revenons. Cela reste difficile à accepter mais une fois que c’est chose faite, il faut continuer sur ce chemin qui reste tout de même sinueux.

Atteinte d’endométriose, elle me confie que, en phase de crise aiguë, c’est couchée qu’elle peint ou dessine car c’est la seule position qui lui procure un peu de répits. Elle a d’ailleurs réalisé plusieurs œuvres où des femmes sont couchées relatant ainsi, son histoire. Car, nous pouvons le sentir, c’est à ces femmes qu’elle s’identifie lorsqu’elle parle avec émotion de cette maladie. De plus, elle me dit que son travail actuel prend source dans la souffrance de la femme, qu’elle soit physique ou psychique. La géométrie vient s’ajouter à l’équation. Elle a toujours aimé les symboles géométriques et avoue jouer avec plusieurs en même temps tel que le carré arrondi, comme elle le dira. Il y une certaine recherche esthétique voire organisé. Par exemple, elle me parle de son œuvre « La souffrance dans le corps » où il y a l’espace qui est délimité mettant comme un premier cadre à l’œuvre où gît une femme ronde. Cela donne une sensation de structure. Le triangle, quant à lui, joue un rôle d’équilibriste entre le feu et l’eau. La couleur rouge est alors considérée comme le point d’encrage énergétiquement parlant, me dit-elle. Tout est délimité avec douceur, elle est omniprésente. En soi, dans ses œuvres, nous apercevons une certaine influence de la Turquie, qui reste pour elle, un pays auquel elle est attachée et qui a nourri son regard au travers du textile, de l’art de la céramique et de ses artistes contemporains. Au début, elle me dit que ses œuvres étaient très chargées, avec beaucoup de détails mais, qu’aujourd’hui, elle n’en ressent plus le besoin. C’est plus dégagé. Elle se concentre sur ses femmes qui prennent de la place comme celles d’Henri Matisse (1869-1954), maître absolu des aplats de couleurs, ou les autoportraits de Frida Kahlo (1907-1954) lorsqu’elle s’est retrouvée alitée et a dessiné et peint (voire plus haut).

L’ordre dans la toile se dessine peu à peu, tout a sa place. C’est là que s’immisce la liberté. Il n’y a plus de limites malgré tout. C’est elle qui est maîtresse de son instrument à créer. Elle peut s’ouvrir à la communication avec les autres, il y a des portes qui s’ouvrent et qui l’aident à accéder à d’autres choses. Un déferlement de créativité se met alors en route sur des jours, parfois, et c’est dans ces moments-là qu’elle ne dort pas. Ce sont des phases qu’elle accepte car tout fini par se remettre dans l’ordre. En général, elle ne donne pas de titres à ses œuvres car elle ne veut pas qu’il y ait toujours un contenu verbal sur ces dernières car elle trouve que les mots enferment et figent le mouvement qu’il y a dans les toiles.

Avec l’art-thérapie, elle a découvert qu’elle aimait profondément la participation, la collaboration. Elle me donne l’exemple de poissons en céramique qu’elle a créé. Si elle pouvait les déplacer, elle voudrait en faire une exposition participative et ainsi faire vivre l’œuvre aux gens qui pourraient les toucher et les mettre alors en mouvement. Elle pense de plus en plus fréquemment à l’idée d’installation et couvrir les murs. Suite à l’installation « Le mur aux poissons » où elle a recouvert un mur de 2700 poissons découpés et peints, elle aimerait refaire cette expérience. Elle pourrait tester toutes les nuances de bleu, sa couleur préférée et qui l’apaise mais aussi de la représentation du poisson, son symbole et cela n’est pas sans hasard. En effet, le poisson est lui-même symbole unificateur des cultures, de la quête spirituelle intérieure et de la fertilité. Il fait ressortir chez elle ce côté méditerranéen de ses racines. Elle ajoute que nous ne pouvons pas toujours l’attraper. Il est toujours dans le mouvement, comme elle.

D’ailleurs, Lara ne compte pas s’arrêter là car sa créativité bouillonne et elle souhaite encore en dire davantage. Tant qu’elle aura des éléments à exprimer, elle continuera. Elle ajoute, en riant, que la fin n’est pas pour demain. Le parcours intimiste dans lequel elle nous plonge, nous montre qu’une volonté de faire exister l’art au travers de son être possède une cohérence mais aussi un talent qui lui est propre. En comprenant sa vie, nous comprenons son travail. Encore une fois, tout est lié. Il suffit d’observer…

 

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Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

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Publié le 12 mars 2024

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